Al-Mawadda

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Où en est le dialogue islamo-chrétien ? Y a-t-il un espoir ?

dialogue

Conférence donnée à Beyrouth, le 12 mai 2010

Où en est le dialogue islamo-chrétien ?
Y a-t-il un espoir ?

Adel Théodore Khoury
(Université de Münster / Allemagne)

Où en est le dialogue islamo-chrétien ? Y a-t-il un espoir ? C’est le titre de mon exposé ce soir. Il s’agit de passer en revue les problèmes et les chances du dialogue islamo-chrétien dans la conjoncture actuelle, et cela non seulement dans le Proche-Orient, mais aussi dans le cadre des relations mondiales entre les pays du monde musulman et les pays dont la culture est imprégnée de la tradition chrétienne dans le monde occidental.
Le sujet est très vaste et très complexe. Je me contente donc ce soir de traiter quelques points qui me semblent avoir une certaine importance.

La situation actuelle est devenue plus difficile. Le dialogue entre chrétiens et musulmans souffre sous le poids des événements de la politique mondiale, sous le poids des activités des militants des deux bords et des décisions prises sans fondements suffisants par les acteurs politiques des deux bords, enfin sous le poids de certaines déclarations faites par les représentants religieux de diverses communautés.
Cela conduit bien des chrétiens à se demander avec de grands soucis si le monde est en train de glisser dans une aventure qui finira par un affrontement sanglant entre le mode musulman et le monde occidental et qui menace l’avenir des deux antagonistes.
De leur côté les musulmans n’ont pas encore surmonté les séquelles de la période coloniale et impérialiste. Confrontés avec la prédominance des pays industriels développés dans le domaine scientifique et technique, lequel est devenu indispensable pour la vie et la survie des hommes sur la terre, ils réagissent contre cette prédominance avec un geste de refus fondé sur la conscience de la supériorité religieuse de l’Islam sur les autres religions du monde. Et beaucoup d’entre eux se demandent avec souci, si l’adaptation au monde moderne, dominé pas les non-musulmans, ne cache pas un danger énorme pour leur identité islamique.
Malgré toutes ses réserves, il est d’une grande importance pour des raisons religieuses et dans la perspective de l’avenir der l’humanité que les musulmans et les chrétiens mènent un dialogue fructueux et s’engagent ensemble pour trouver une solution efficace aux problèmes de notre monde commun.

Le dialogue entre chrétiens et musulmans dans le passé

Les données du Coran montrent que l’Islam est proche du Christianisme et en même se tient loin de lui. Cela explique la double attitude der musulmans à l’égard des chrétiens. Le Coran souligne la parenté de principe entre l’Islam et le Christianisme et met en même temps l’accent sur les différences dans la doctrine et la loi qui séparent les deux religions. Le Coran appelle les chrétiens les amis, qui sont les plus proches des musulmans dans l’amitié (cf. 5,82), en même temps il recommande aux musulmans de prendre leur distance à l’égard des chrétiens (cf. 5,51), de les combattre jusqu’à ce qu’ils se soumettent à l’autorité de l’Islam (cf. 9,29). Le Coran reconnaît que les chrétiens ont le droit et le devoir de pratiquer leur religion (cf. 5,46-47), en même temps il ne reconnaît au Christianisme qu’une valeur relative, car le prophète Muhammad est « le sceau des prophètes » (33,40) et l’Islam est la seule vraie religion que Dieu accepte (cf. 3,19.85).

1. L’Islam proche et loin du Christianisme

1.1 Dans la doctrine de la foi

La proximité de l’Islam à l’égard du Christianisme est fondée sur leur enracinement commun dans la tradition du monothéisme, qui repose d’une manière toute particulière sur la foi d’Abraham. Dieu est le créateur, qui accompagne ses créatures et qui jugera les hommes à la fin des temps. Il est le seul Dieu, en face de lui il n’y a aucun dieu véritable. Avec ce monothéisme ferme le Coran s’attaque en premier lieu aux polythéistes de son temps. Il rejette aussi ce qui lui semble dans la doctrine chrétienne contredire le pur monothéisme : la foi en la Sainte Trinité et en Jésus Christ, Fils de Dieu fait homme pour le salut de tous les hommes. Il est vrai qu’il l’appelle un grand prophète, un Envoyé de Dieu, venu annoncer l’Évangile et opérer bien des miracles, il le nomme un signe de la miséricorde de Dieu à l’égard des hommes, un Verbe de Dieu, un Esprit der Dieu , enfin le Christ, le Messie. Mais il n’est pas le Fils de Dieu et Dieu, il n’est pas mort sur la croix et il n’est pas le sauveur des hommes et du monde.
Mais si on considère les données du Coran sur Dieu, on peut constater qu’il lui donne les attributs reconnus dans le Christianisme : Dieu Créateur, Dieu providence, Dieu juge au jugement dernier, Dieu unique, Dieu un, Dieu transcendant, Dieu qui parle aux hommes par les prophètes. C’est pourquoi on comprend bien que le Coran déclare à l’adresse des juifs et des chrétiens : « Notre Dieu et votre Dieu est un » (29,46). Et on comprend aussi que le Concile Vatican II déclare aussi que les musulmans « adorent avec nous le Dieu un » (Lumen gentium 16). Cela l’ont répété les papes Paul VI et Jean Paul II à plusieurs reprises. Il est vrai que les chrétiens et les musulmans n’ont pas dans chaque formule les mêmes représentations de Dieu, et leur description des attributs de Dieu est çà et là différente, mais quand ils parlent de Dieu ou s’adresse à lui dans la prière, alors les affirmations de leur foi respective montrent clairement qu’il s’agit du même Dieu. Et c’est ce qu’ont affirmé aussi les nombreux ulémas musulmans de tout bord dan le monde qui ont adressé l’an dernier une lettre aux Chefs des Églises et Communautés chrétiennes dans le monde.

1.2 Dans le domaine des valeurs morales

Il y a un autre domaine qui montre clairement combien l’Islam est proche du Christianisme : c’est le domaine des valeurs morales. On trouve dans la Bible, dans l’Evangile comme dans le Coran la liste des dix commandements de Dieu : la foi en Dieu l’accomplissement des obligations du culte, le respect des parents, le respect de la vie, le respect de la sexualité et de la famille, le respect des biens d’autrui, le respect de la vérité comme fondement de la vie de la communauté et de la société. On peut donc les lire dans l’Ancien Testament (Exode 20,1-21 ; Deutéronome 5,1-22), dans le Nouveau testament (par exemple chez Luc 18,20), et dans le Coran (17,22-39 ; 6,151-152).

1.3 Dans le domaine politique

Le Coran ordonne de soumettre les chrétiens à l’autorité et dominance de l’État islamique, au besoin par la force. Il leur permet alors de vivre sur le territoire de l’Islam comme des dhimmis, c’est-à-dire comme des sujets soumis et confiés à la protection de l’Islam en fonction d’un contrat qui leur garantit certains droits et exige d’eux d’accomplir certains devoirs.
Les droits sont en principe – à part certaines restrictions – la protection de leur vie et de leurs biens, le respect de leur liberté religieuse, de leur culte religieux et de leur administration religieuse. On leur permet de prendre part à la vie de la société, à l’exception des postes qui pourraient leur conférer une autorité directe sur les musulmans, lesquels sont les citoyens de l’Etat, tandis que les chrétiens profitent de mesures de tolérance.
En face de ces droits, les dhimmis devaient remplir les devoirs suivants : Ils devaient se montrer loyaux à l’égard de la communauté islamique, respecter la religion de l’Islam et payer le tribut qui leur était imposé.
Ce règlement tolérant devint à travers les époques de l’histoire suivant les circonstances sociales et politiques un instrument de répression à l’égard des non-musulmans, soumis alors aux intérêts de la communauté musulmane dominante. De cette manière l’histoire des relations entre musulmans et chrétiens devint tantôt l’histoire de la tolérance et tantôt l’histoire de l’intolérance et de la vexation.

2. Attitude des chrétiens à l’égard de l’Islam dans le passé

2.1 Dans le domaine de la doctrine

Les théologiens chrétiens ont soumis dans le passé l’Islam aux critères de leur système apologétique et polémique qui tendait à prouver la vérité du Christianisme. Ils ont mis l’accent sur la distance qui sépare l’Islam du Christianisme dans la doctrine, dans la morale et dans la pratique religieuse. Cela montre à leurs yeux, vu que le Christianisme est la vraie religion, que l’Islam doit être jugé comme une religion fausse. De même ils argumentent qu’on ne peut pas comparer le prophète de l’Islam Muhammad à Jésus Christ. Ce qui démontre qu’il ne peut être considéré comme un vrai prophète au sens théologique. Enfin on trouve dans le Coran des affirmations qui contredisent les données de l’Ecriture Sainte, laquelle a été révélée à Moïse et aux prophètes, aux apôtres et aux écrivains sacrés qui ont rédigé les Évangiles. Ce qui montre que le Coran n’est pas une vraie révélation de Dieu.
Cette attitude a prévalu très longtemps dans le passé soit en Orient, surtout à Constantinople, soit en Occident.

2.2 Dans le domaine politique

Les relations politiques entre chrétiens et musulmans dans le passé sont marquées par les événements de l’envahissement des troupes musulmanes des provinces de l’empire byzantin en Orient (634-642), des provinces de l’Afrique du Nord, du Sud de l’Espagne, (711-732), puis à une époque ultérieure par la prise de Constantinople par les armées ottomanes (en 1453) et leur avance du côté de l’ouest dans les diverses provinces de l’Occident chrétiens (du 13e au 17e siècle).
Par contre les confrontations militaires apportèrent au monde musulman des périodes de domination occidentale : Je cite ici les croisades entre 1095 et 1270, la reconquista de l’Espagne et la chute du khalifat de Grenade en 1492, le débâcle de la flotte ottomane à Lépante en 1571 et l’échec des Ottomans devant les murs de Vienne en 1783. Mais la période la plus sombre pour le monde musulman est celle du colonialisme occidental qui soumit beaucoup de pays du monde musulman aux puissances européennes. La période impérialiste est depuis des décades révolue, mais les blessures psychiques qu’elle a laissées sont encore vivantes et douloureuses.

Aspects de la situation actuelle

1. L’attitude des chrétiens

Au 20e siècle a eu lieu dans la théologie catholique un tournant d’une importance radicale dans l’attitude à l’égard des religions non chrétiennes, et cela sous l’influence des nouvelles acquisitions de la science comparée des religions et du fait que les hommes à travers le monde sont pris dans un mouvement d’unité mondiale, ce qui conduit à un nouveau jugement sur la valeur des traditions religieuses des autres peuples à travers le monde. Le deuxième Concile du Vatican a déclaré dans divers documents, surtout dans sa « Déclaration sur la relation de l’Eglise avec les religions non chrétiennes », Nostra aetate, que l’heure est venue pour adopter une nouvelle attitude à l’égard des non-chrétiens. L’Eglise cherche désormais dans les religions non chrétiennes non les différences qui séparent, mais les éléments communs qui conduisent à une communication plus ouverte et à la constitution d’une communauté entre toutes les religions.
Cette attitude repose sur les principes suivants :
– Il faut prendre au sérieux les religions non chrétiennes, s’efforcer de les bien connaître et les traiter avec respect.
– Il faut reconnaître la valeur de ce qui se trouve chez elles comme éléments vrais et bons, et conserver ces éléments et les promouvoir. Car ces éléments sont considérés par le Concile comme un rayon de la vérité du Christ (Nostra aetate 2) et comme dus à l’action du Saint-Esprit (Décret sur l’éducation des prêtres 16).
– Ce qui est commun à la tradition chrétienne et aux religions non chrétiennes forme un fondement suffisant pour mener un dialogue ouvert et une coopération décidée et fructueuse.

Cela veut dire que les religions non chrétiennes, et entre elles surtout l’Islam, ne sont plus jugées sans différence comme des voies erronées et des religions fausses, et leurs doctrines, leurs normes et leurs comportements ne sont plus rejetés en bloc. Les non-chrétiens peuvent avoir accès au salut. Le Concile Vatican II déclare en effet : « A ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peur se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie » (Lumen gentium 16).

2. L’attitude des musulmans

Dans le domaine de la doctrine l’attitude des musulmans n’a pratiquement pas changé depuis les siècles passés. Il y a cependant une certaine réflexion assez timide sur la possibilité de salut des chrétiens et sur la liberté religieuse de tous les hommes. Cela concerne aussi la réflexion sur la possibilité et la nécessité du dialogue religieux avec les chrétiens et sur les problèmes qui dans le passé et jusqu’aujourd’hui pèsent sur ce dialogue.
Dans le domaine de la politique et de la coexistence entre musulmans et chrétiens, certaines activités de militants des deux bords provoquent des craintes au sujet d’une vie commune fondée sur la justice et la paix dans les différents pays du monde.

Perspectives d’avenir

Le dialogue entre chrétiens et musulmans

Le nombre des chrétiens et des musulmans dans le monde atteint plus de trois milliards d’adeptes, ce qui constitue un potentiel énorme. C’est pourquoi il leur incombe de prendre leur responsabilité les uns à l’égard des autres et ensemble à l’égard du monde entier, leur responsabilité commune pour le présent et l’avenir de l’humanité.

1. Le chemin vers l’avenir

Ce sera un chemin long et difficile, le chemin qui nous permettra de surmonter notre passé commun marqué par les inimitiés et l’agressivité, de surmonter notre présent troublé par la méfiance et la rivalité, en direction d’un avenir, dans lequel chrétiens et musulmans seront finalement des partenaires et des amis et apporteront ensemble leur tribut pour l’édification der la famille humaine commune.
On rencontre aujourd’hui chez les chrétiens des attitudes diverses par rapport à la rencontre avec les musulmans. Il y a encore beaucoup de méfiance à surmonter. Mais le nombre de ceux qui se sont dégagés de l’héritage du passé et des problèmes de la coexistence parfois pénible ainsi que des difficultés et des craintes causées par les événements actuels, est en train de croître. Cela permet d’espérer parvenir bientôt à répandre la confiance, à gagner l’amitié et à se lancer avec les partenaires musulmans dans la charge de promouvoir le dialogue et la coopération.

Chez les musulmans on peut diagnostiquer des attitudes pareilles. Malgré la méfiance contre un Occident qu’on continue faussement à identifier avec le Christianisme, il y a un nombre d’intellectuels qui se réfèrent aux données du Coran pour justifier le dialogue avec les chrétiens. Le Coran a en effet permis de mener un dialogue respectueux avec les chrétiens (16,125), et le Prophète Muhammad a lui-même mené le dialogue avec la députation chrétienne de Nadjran au Yémen (3,64). Le Coran admet la pluralité des traditions religieuses issues de la tradition abrahamique (2,148 ; 5,48). Et il place les chrétiens à côté des musulmans dans le groupe de ceux qui en raison der leur foi et de leurs bonnes œuvres seront récompensés par Dieu (2,61 ; cf. 5,69).

Tout cela laisse espérer qu’une initiative de dialogue et de coopération peut réussir à grouper des musulmans et des chrétiens qui côte à côte s’efforcent d’apporter leur contribution à la solution des problèmes écrasants qui pèsent sur notre monde commun.

2. Objectifs communs

Il faut au début déblayer le terrain et écarter certains malentendus
– L’Occident n’est pas le Christianisme.
– Les musulmans ne sont pas tous adeptes d’un islamisme militant et impatient.
– Les chrétiens n’adoptent pas tous une attitude négative à l’égard de l’Islam. De même les musulmans n’adoptent pas tous une attitude de refus à l’égard du Christianisme.
– Le dialogue et la coopération sont une nécessité et la seule alternative admissible à une confrontation qui n’apporte que de la perte aux deux côtés.

L’objectif commun est d’éloigner tous les malentendus et jugements prématurés qui se sont appesantis sur notre histoire commune jusqu’à nos jours. Il s’agit de gagner une confiance mutuelle, de trouver un moyen de se comprendre plus profondément, de se rapprocher de plus en plus les uns des autres, de se rencontrer comme partenaires, ce qui en fin de compte mène à surmonter un passé et un présent chargés d’incompréhension, de confrontation, d’inimitié et de haine.
Les partenaires du dialogue cherchent à trouver ensemble une solution aux problèmes communs de notre monde, entre autres d’instaurer un ordre social et mondial juste capable d’assurer une vie fraternelle à tous.
Ces objectifs ont été formulés à des occasions diverses par les musulmans et les chrétiens engagés dans le dialogue : la justice, la paix, la liberté, le soutien des valeurs morales et le témoignage de la foi en Dieu dans le monde.
En plus, il s’agit de s’efforcer d’atteindre les objectifs suivants:
– Bâtir une coexistence commune prospère dans une société plurale et différenciée.
– Intégrer les malades et les personnes âgées dans la vie de la communauté.
– Protéger la vie dès le début de son existence.
– Protéger la nature, et créer une harmonie entre les hommes et la nature.
– Promouvoir le développement des peuples et exercer la solidarité avec tous dans l’esprit d’une fraternité universelle.

Conscients du fait, qu’ils appartiennent les uns aux autres, les chrétiens et les musulmans ont le devoir de surmonter leur adversité, de pratiquer la solidarité les uns envers les autres et d’apporter leur contribution à la solution des problèmes de notre monde.

3. Problèmes concrets dans l’exercice du dialogue

L’expérience faite dans la pratique du dialogue entre chrétiens et musulmans a montré à divers plans des problèmes qui pèsent sur la marche du dialogue et qu’il est utile de signaler ici.

3.1 Insuffisances méthodiques

3.1.1 Un seul modèle de religion est valable

Dans la théologie du Christianisme et de l’Islam on peut découvrir des tendances qui ne reconnaissent qu’un seul modèle valable de la vraie religion, le modèle de la religion propre. On trouve par exemple dans la littérature chrétienne l’argument suivant : Le Christianisme est la vraie religion. La vérité du Christianisme se laisse prouver par un certain nombre de caractéristiques ou de critères. Alors chaque religion – l’Islam aussi – doit, pour être vraie, remplir les mêmes critères.

Chez les musulmans l’argument s’articule de la manière suivante : Le Coran est la parole de Dieu. Chaque livre saint doit alors ressembler au Coran dans sa structure et sa forme. Comme les Évangiles appartiennent à un autre genre littéraire, il faut en conclure que les Évangiles ne sont pas la Parole originaire de Dieu. – Le Hadith est transmis par une chaîne de traditeurs et contient les dits et gestes du Prophète Muhammad. Alors toute tradition authentique doit ressembler au Hadith, sinon elle ne peut être considérée comme authentique.

3.1.2 Exiger que le résultat final éventuel du dialogue soit admis déjà au début comme condition pour entamer le dialogue.

Il y a en effet des personnes qui exigent que les partenaires du dialogue soient d’accord sur certaines données de leur religion respective, avant de vouloir se lancer dans le dialogue. Par exemple certains musulmans exigent que les chrétiens reconnaissent dès le début l’authenticité divine de la mission prophétique de Muhammad. De leur côté il y a des chrétiens qui exigent que les musulmans reconnaissent dès le début la divinité du Christ et son action rédemptrice.

3.1.3 Refus principiel du dialogue

L’argument présenté ici est le suivant : L’erreur (c’est-à-dire ici la religion de l’autre) ne peut pas réclamer des droits de protection. Ici on oublie qu’il ne s’agit pas de l’erreur objective, mais de la personne qui suit l’erreur, c’est-à-dire que la personne humaine, que l’on considère être dans l’erreur, est bien un sujet de droits, entre autre du droit à la liberté religieuse. Du moment elle peut et doit être acceptée comme partenaire du dialogue.

3.1.4 Conception extrémiste de la vérité

La vérité n’est pas divisible : c’est là une raison apportée pour refuser la tolérance positive initiale à l’égard de l’autre religion. Ou bien tout es vrai dans une religion, ou bien cette religion est toute fausse.
On oublie ici que dans la vie et dans les divers plans de la vie il y a un mélange de vérités, de vérités partielles, d’erreurs et d’erreurs partielles. La maxime : veritas de toto, c’est-à-dire la vérité doit se trouver dans toutes les parties composantes d’une chose, ne vaut que pour des équations simples, et non pour des relations complexes et pour une réalité à multiples aspects.
En plus il faut considérer que la connaissance de la vérité entière dans son ampleur complète, n’est possible que par degrés et ne peut être acquise que tout le long de toute l’histoire. L’histoire est le lieu des possibilités de l’épanouissement de la vérité initiale et par cela de la connaissance de l’ampleur totale de la vérité entière.

3.2 Argumentation « boiteuse »

3.2.1 L’interprétation propre des autres religions

On rencontre à plusieurs reprises la tentative de vouloir mener le dialogue sur la base de sa propre interprétation de la religion du partenaire, et non en fonction de la manière dont les adeptes de cette religion la comprennent. Cela mène à ce que des chrétiens visent à « christianiser l’Islam », par exemple lorsque certains apologètes chrétiens veulent à tout prix prouver que le Coran admet la doctrine de la Trinité chrétienne : Quand le Coran appelle Jésus Verbe de Dieu (4,171 ; 3,45) et Esprit de Dieu (4m171), il montre par là qu’en Dieu existent son Verbe (éternel) et son Esprit (éternel), et il témoigne par là de la foi en la Sainte Trinité. – Dans cette manière d’argumenter, les apologistes chrétiens négligent ce que les exégètes musulmans apportent comme explication à ces versets coraniques et montrent par là qu’il n’y a pas dans le Coran une contradiction entre sa négation de la trinité et les attributs qu’il donne à Jésus.
De l’autre côté on rencontre dans l’Islam la tentative d’islamiser le Christianisme, c’est-à-dire de n’accepter comme éléments chrétiens authentiques que ce que le Coran affirme sur Jésus, et d’accuser les chrétiens d’avoir falsifier le contenu original de l’Evangile. Certains musulmans, qui n’ont acquis aucune connaissance de la théologie chrétienne, proclament qu’ils ont connaissance complète de tout le Christianisme.

3.2.2 Parallèles boiteuses

Par manque de connaissance véritables des choses certains apportent des parallèles boiteuses, qui n’aident pas vraiment à faire avance le dialogue entre musulmans et chrétiens.

Beaucoup de chrétiens se plaignent de ce que dans certains pays du monde musulman on rencontre une intolérance pratique à l’égard des chrétiens par rapport à leur liberté religieuse et à la pratique de leurs droits civils. Et ils tirent la conséquence que les pays de tradition chrétienne doivent, parallèlement à cela, traiter les musulmans qui y vivent avec moins de tolérance. Mais cela signifie qu’ils veulent justement pratiquer ce dont ils se plaignent dans le comportement des autres et qu’ils se laissent dicter par le comportement des autres les principes qui doivent diriger leur propre comportement. – Mais cette remarque ne signifie pas que l’on doit garder le silence en face de l’intolérance, égal où elle est pratiquée dans le monde. On doit exiger la tolérance et la pratiquer soi-même.

– Certains musulmans de leur côté demandent aux chrétiens – en fonction d’une parallèle boiteuse – de reconnaître le prophète Muhammad, comme eux ils reconnaissent Jésus Christ. Mais même si la phrase semble au premier regard contenir une parallèle valable, elle s’avère après un examen attentif, comme une fausse parallèle. Car le musulman ne croit pas au Christ des chrétiens, mais au Christ du Coran, au Jésus de l’Islam, et exige du même coup des chrétiens qu’ils croient à leur tour au prophète du Coran, au Muhammad de l’Islam.
De toute manière le fondement de l’argumentation est dangereux : Il ne s’agit pas ici d’échanges d’une entente superficielle, mais des données de la foi et de la doctrine de la foi.

3.2.3 Arguments peu convaincants

On rencontre chez certains chrétiens l’argument suivant : Le Christianisme est la vraie religion, alors l’Islam est une fausse religion. Ici on ne considère pas qu’une religion comme l’Islam peut contenir des éléments de vérité à côté des éléments que le chrétien doit rejeter parce qu’ils contredisent les doctrines obligatoires de sa propre religion. Ici manque une vue différenciée des choses.

Chez les musulmans aussi on rencontre souvent l’argument qui repose sur la suite temporelle des religions : Le Christianisme est venu après le Judaïsme et dépasse celui-ci en ce qui concerne la vérité religieuse. De même l’Islam est venu après le Christianisme et le dépasse à son tour concernant la vérité religieuse.
Ici manque la prémisse qui dit qu’on a déjà prouvé que l’Islam est une vraie religion et qu’il dépasse donc les autres religions qui étaient vraies en leur temps.

3.2.4 Pièges de la parole et des concepts

Il y a des termes que les partenaires du dialogue comprennent d’une manière différente l’un de l’autre.
– Quand les chrétiens parlent de dialogue, ils entendent par là surtout la dimension religieuse et le contenu doctrinal, et cela surtout dans le cadre d’un système politique démocratique qui se fonde sur la séparation des compétences entre la religion et l’État. – Les musulmans réagissent sur un autre plan, c’est-à-dire à partir des dimensions à la fois religieuses et politiques des sociétés dans lesquelles ils vivent, qui se fondent, du moins en principe, sur une unité entre la religion et l’État.

– La tolérance, dont les musulmans sont fiers, peut être considérée comme une grande caractéristique de la politique de l’Islam à l’égard des dhimmis, des protégés soumis à leur domination politique dans les temps anciens. Mais si l’on compare ce genre de tolérance avec les normes des sociétés civiles modernes, cette espèce de tolérance n’est plus suffisante, car elle est en fait la tolérance accordée par ceux qui tiennent en main le pouvoir politique à l’égard des groupes soumis, et non la tolérance qui prévaut entre les citoyens à droits égaux dans les sociétés modernes.

– Les droits universels de l’homme sont actuellement reconnus par les pays de tradition chrétienne. Il y a des groupes et des États musulmans qui ont eux aussi admis ces droits de l’homme. Certains groupes musulmans les acceptent aussi, mois sous réserve de ce que la loi de l’Islam, la charia, impose. Ce qui implique la négation de principe de la valeur universelle de ces droits de l’homme.

4. Principes et méthode

J’en arrive maintenant à exposer certains principes qui doivent dominer l’entreprise du dialogue et le rendre possible et fructueux.

4.1 Écarter les préjugés

Aujourd’hui on rencontre chez bien des chrétiens des préjugés tenaces à l’égard de l’Islam, qui trahissent surtout l’ignorance et le jugement injuste de ceux qui les conservent. De même en est-il de la part de bien des musulmans.

– Il y a des chrétiens qui tendent à accuser l’Islam d’être responsable du retard qui marque la civilisation des pays musulmans dans les domaines de la science, de la technique, der l’organisation et des normes civiques en général.
– Il y a des musulmans qui confondent constamment l’Occident avec la religion chrétienne et ne se rendent pas compte que l’Occident repose dans sa politique sur la sécularité, c’est-à-dire sur la séparation des domaines de compétence entre religion et État.

– Il y a des chrétiens qui tendent à considérer les musulmans fanatiques et militants, qui se rendent responsable des actes de terrorisme, comme les varis représentants de l’Islam. Ils oublient ou négligent de considérer le grand nombre de musulmans dans le monde, qui sont des citoyens avides de justice et amis de la paix.
– Il y a der leur côté des musulmans qui ne veulent voir dans la société occidentale qu’une société décadente, sans se donner la peine d’analyser les diverses caractéristiques de sa civilisation et de sa culture, pour pouvoir les juger correctement et leur rendre justice. Il y a aussi des musulmans qui cherchent dans les difficultés à diagnostiquer partout des traces de la mentalité des croisades dans l’Occident accusé d’être «chrétien ».

4.2 Orientation nouvelle

Nous avons besoin avec urgence d’une nouvelle orientation qui reposent sur les valeurs prêchées par le Christianisme et l’Islam, valeurs qui leur sont en grande partie communes.
Il faut établir un ordre social humain, qui se fonde sur la reconnaissance de la dignité intouchable de l’homme. Un tel ordre social, s’il est mis en pratique, donnera les fruits suivants :
– une justice fraternelle,
– une mise en pratique des droits et des devoirs d’une manière miséricordieuse,
– accorder la priorité aux droits des faibles dans la société, et soutenir une option active pour les droits des pauvres et des démunis.
– être prêt à la réconciliation ; offrir la réconciliation aux croyants de l’autre religion,
– renoncer à la violence et chercher à établir la paix.

4.3 Quelques principes

Pour bien mener le dialogue, il faut se conformer aux principes suivants :

– Une religion n’est pas fausse pour la simple raison qu’elle autre que la propre religion.
– Une religion n’est jamais un ensemble simple. Elle contient beaucoup d’éléments différents. Quelques-uns de ces éléments peuvent être erronés, sans que pour cela la religion en entier soit déclarée comme erronée.
– Ce qui est différent est simplement différent, il n’est pas toujours en contradiction avec ma propre religion ou ma propre morale. Des éléments différents peuvent dans un contexte plus large s’avérer compatibles avec les éléments correspondants de ma propre religion.
– Celui qui pense autrement que moi, n’est pas automatiquement un sot ou un penseur irrationnel, un idiot sans compréhension ou de mauvaise volonté.

4.4 Plaidoyer pour une justice fraternelle

Il est d’une grande importance pour l’avenir des chrétiens et des musulmans, tout aussi bien que pour l’avenir de l’humanité, de se pencher sur la question de savoir s’il sera possible aux chrétiens et aux musulmans de bâtir une société fondée sur la justice. Pour des chrétiens, et aussi pour beaucoup de musulmans, les principes suivants ont une valeur pratique très fructueuse :

– Il y a une égalité fondamentale de tous les hommes comme créatures de Dieu.
– Toutes les créatures de Dieu, ici tous les hommes, sont apparentés les uns aux autres, ils dépendent tous d’une communication universelle et d’une coopération universelle.
– Tous les êtres humains forment une grande famille ; ils sont liés les uns aux autres par une solidarité entière et une fraternité universelle.
– Solidarité et fraternité ne sont pas soumises à une décision arbitraire, elles sont obligatoires. Elles sont comme principes de base de l’ordre social et politique le fondement d’une justice fraternelle qui embrasse le monde entier.
– Cette justice est une imitation de la justice de Dieu, dont la mesure est sa miséricorde. Nous lisons dans la première Épître de Saint Jean : « Si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (I Jean 4,11).

Considération finale

Cela serait pour l’avenir des chrétiens et des musulmans comme pour l’avenir de l’humanité entière une grave injustice dont la portée n’est pas facile à mesurer, si les chrétiens et les musulmans, aujourd’hui comme dans le passé,
continuent à s’affronter dans la mésentente et le refus,
continuent à se rejeter mutuellement,
continuent à refuser les uns aux autres la solidarité qui est due à tous.

En sens contraire ce serait pour eux mêmes et pour l’humanité entière un gain incalculable, s’ils réussissent à apporter les uns à l’égard des autres plus de compréhension, plus de confiance, plus de solidarité et plus de coopération sincère et effective.

Ce serait pour le présent et l’avenir du monde, pour les chrétiens et les musulmans et pour le mode entier, un gain énorme et un pas décidé vers un avenir couronné de succès, si les chrétiens et les musulmans, ici en Orient et dans le monde entier, réussissent à inaugurer une époque dans laquelle ils vivraient non seulement en paix les uns à côté des autres, mais ensemble dans notre monde commun.

Nous ne devons plus demeurer adversaires et lutter les uns contre les autres.
Nous devons devenir partenaires, qui dressent ensemble leurs plans et leurs projets et coopèrent ensemble.
Oui, encore plus : Nous devons devenir des amis et être là les uns pour les autres, et intervenir ensemble pour le bien de l’humanité entière.